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Be-cause health matters 14

Voix de la santé mentale en Afrique : expériences vécues et leçons à tirer.

Atelier

La santé mentale des Enfants et Jeunes en Situation de Rue (EJSR)

Les EJSR sont une population au carrefour des thématiques de protection, d’éducation, de santé mentale et d’accompagnement sanitaire. Nécessairement pluridisciplinaire, l’accompagnement des enfants de la rue s’adapte en fonction des contextes mais aussi en fonction du cadre philosophique avec lequel on traite le sujet de la rue.

Mali

Au Mali, Sow Gouagna TRAORE a exposé le travail du Samu Social auprès des jeunes femmes âgées de 10 à 25 ans en situation de rue. Créé en 2001, le Samu Social malien est un service mobile ayant pris en charge 6 000 jeunes. Tous ces jeunes possèdent des caractéristiques de vie similaires : une rupture familiale – plus ou moins violente – s’accompagne inéluctablement d’une désocialisation et, progressivement, d’une exclusion de la société. Ces contraintes et vulnérabilités sociales créent une spirale où viennent s’ajouter de nouvelles vulnérabilités : violences sexuelles, pratiques toxicomanes, problèmes sanitaires (dont des fragilités liées aux maladies sexuellement transmissibles, au SIDA ou aux grossesses non désirées). Pour pallier ces difficultés cumulées, le Samu Social opte pour une approche intégrée, mêlant mobilité, création de liens de confiance, soutien psychosocial pour le maintien de la santé mentale et le soutien de la résilience, travail avec les familles, partage d’outils avec l’ensemble des acteurs intervenant auprès des enfants des rues à l’échelle locale, formation des partenaires, conciliation entre enfants et parents, ainsi qu’un fort plaidoyer auprès de nombreux partenaires et institutions (mairies, gouvernements, régions mais aussi structures médicales, centres de détention et de rééducation, services de protection de l’enfance, etc.).

Au travers d’une vignette clinique, on constate que l’accompagnement psychosocial est transversal, adaptatif et axé sur la réinsertion de l’individu aux points focaux communautaires et familiaux.

Voir la vidéo de Mme Sow Gouagna Traore (Mali)

Au travers d’une vignette clinique, on constate que l’accompagnement psychosocial est transversal, adaptatif et axé sur la réinsertion de l’individu aux points focaux communautaires et familiaux.“

Benin

Au Bénin, King BANTIA nous a présenté une deuxième pratique, guidée par une philosophie fort proche mais néanmoins différente. L’organisme Terres Rouges vient en aide à des jeunes en situation de rue. À la différence du Samu Social Mali, Terres Rouges ne vise pas toujours la réinsertion du jeune dans sa famille d’origine. Il constate que pour certains jeunes en situation de rupture « la rue est aussi une communauté » : bien souvent, les jeunes ont pu s’entourer de personnes avec lesquelles ils ont construit des liens de confiance et qui fonctionnent, en quelque sorte, comme une famille de substitution. Au travers du cas clinique de Cendra, l’orateur montre que, tout comme pour le Samu Social au Mali, les profils sont relativement identiques (anamnèse traumatique ou du moins fortement adverse, perte de liens) et que l’accompagnement psychosocial est large et multifactoriel (entretiens psychologiques, accompagnement des demandes de formation professionnelle, appui aux AGR, lancement de démarches d’accueil en centres d’hébergement, accompagnement et suivi sur le plan médical et sanitaire et, surtout, création de liens avec les équipes soignantes et d’accompagnement des relais communautaires). Dans ce dispositif, il est admis que la réussite des jeunes découle de certaines rencontres porteuses de résilience. C’est pourquoi Terres Rouges a mis en place un réseau d’une soixantaine de relais communautaires qui assurent des activités de protection dans des lieux identifiés dans la communauté. Ainsi, l’approche est marquée par une mise à disposition d’aide et d’appuis au sein même de la communauté ; il est même observé qu’« Au cas par cas, il est préférable d’étayer l’enfant dans son autonomie que de forcer le retour en famille ».

Voir la vidéo de Mr Mouhamed Bantia (Bénin)

La discussion

La discussion a été lancée par Adelin N’SITU (RDC), qui est intervenu en qualité de discutant. Celui-ci a insisté sur les difficultés réelles de réintégration familiale et de réinsertion sociale rencontrées par ces enfants, lesquelles aboutissent fréquemment à leur retour dans la rue après l’échec de tentatives successives de retour dans leur famille d’origine. Il a insisté sur l’importance du travail de préparation et d’accompagnement de la famille et de la communauté, afin qu’elles acceptent le retour parmi eux d’un jeune différent de celui qu’elles ont connu. Il a également rappelé la grande fragilité psychologique de ces enfants, soulignant que souvent l’exclusion n’est qu’une conséquence de la stigmatisation dont souffrent celles et ceux dont l’état pathologique n’est pas traité. Il a invité l’auditoire à s’interroger (1) sur la manière de répondre aux besoins psychologiques des enfants de rue, afin de faciliter leur réintégration sur le long terme ; (2) sur les mesures préventives pouvant être envisagées pour aider les enfants nés dans des conditions ne favorisant pas leur inscription dans la lignée intergénérationnelle ; (3) et de proposer des pistes en vue de renforcer la multisectorialité des prises en charge autour d’enfants dont l’état psychopathologique ne favorise pas la réintégration.

Ces présentations ont suscité de nombreuses réactions des écoutants dans le chat. Les commentaires écrits sur cet atelier sont en tout cas unanimes quant à la nécessité de maintenir autant que faire se peut l’enfant dans le milieu familial, qu’il s’agisse de la famille d’origine élargie aux parents éloignés ou d’une famille d’adoption. Des méthodes alternatives et temporaires sont évoquées (centre d’accueil transitoire avant d’envisager l’intégration familiale), mais le retour de l’enfant en famille plutôt que dans la rue est massivement souhaité dans les commentaires. Une participante basée à Kinshasa (RDC) cite l’exemple de certains enfants des rues qui seraient utilisés par des partis politiques afin de déséquilibrer les camps politiques adverses lors des manifestations par exemple. Ces enfants sont encadrés et protégés par les partis, mais aucune solution n’est envisagée pour les sortir de cette vie de la rue. Au contraire : leur potentialité de semeurs de trouble est entretenue au bénéfice de ces partis politiques. Cette discussion fut révélatrice de la place centrale qu’occupe la famille d’origine dans nombre de sociétés africaines, notamment sur le plan des solidarités. Toutefois, l’Afrique est vaste et ses réalités extrêmement diversifiées. La famille des uns n’est pas celle des autres et dans certains contextes les lames de fond que sont l’urbanisation, l’exode rural, la pénurie d’emplois et l’insécurité ont fragilisé les formes traditionnelles de solidarité, confrontant les populations à des situations inédites où des formes d’appartenance et de solidarité nouvelles sont inventées.

« Ces vécus traumatiques les enferment dans des comportements et attitudes de non-demande d’aide. C’est ce qu’Olivier Douville […] a qualifié de style d’adaptation paradoxale. Cette notion permet de comprendre pourquoi beaucoup d’enfants et de jeunes se forgent une armure empêchant toute relation d’aide. »

- INCONNU

Thématique d’une grande complexité car aux confins de problématiques multiples, les enfants et jeunes en situation de rue ont des parcours de vie qui, selon le principe d’adaptation paradoxale, les fragilisent même lorsque leur situation tend à s’améliorer. Ainsi, la question de l’efficacité et de l’accessibilité des soins rejoint celle de l’élargissement et de la diversification des activités de santé mentale, afin de toucher et d’anticiper de manière proactive les besoins des jeunes.